06 40 88 31 09
b.gaston-lagorre@orange.fr
Carpe diem - 17 Grand Rue 11490 Portel-des-Corbières

Lagorre illustrateur

  /    /  Lagorre illustrateur

Réflexion sur la teneur de la relation texte-illustration et sur son évolution

Lagorre illustrateur des livres de Jules Palmade et de deux autres felibres, Louis Pujol et Justin Gouazé ainsi que de son ami Louis Rivière

Dès le début de son parcours artistique, Lagorre va être sollicité en tant qu’illustrateur par Jules Palmade, l’ instituteur qui l’a vivement encouragé à entrer aux Beaux-arts de Toulouse.

Souvent publiés dans les deux langues, l’occitan et le français, fait rarissime à l’époque, Jules Palmade écrit plusieurs recueils de poésie et d’ aphorismes et remet au goût du jour certains contes traditionnels. L’auteur émet le vœu que l’artiste illustre les ouvrages édités à « Vent Nouveau », la maison d’édition créée par ses soins.

La volonté manifestée par Jules Palmade de s’exprimer dans les deux langues, l’occitan et le français, montre assez combien ce normalien avait une personnalité affirmée. Chargé de l’enseignement de la langue française à une époque où celle-ci était le ciment même de la volonté d’unification de l’Ecole que défendaient avec brio les hussards noirs de la République dont il faisait partie, Jules Palmade n’en était pas moins totalement respectueux du parler régional qu’il pratiquait d’ailleurs lui-même au quotidien avec les habitants de Seix mais aussi lors de ses rencontres avec les autres *felibres dans le cercle du *Félibrige qu’il fréquentait avec assiduité.

René Gaston-Lagorre, empreint lui aussi d’un grand humanisme, se prête avec plaisir au jeu de l’illustration des textes de Jules Palmade dans lesquels il se fond. La fonction des illustrations ne consiste alors le plus souvent qu’à traduire le texte en image et, en quelque sorte à « redoubler » ce texte, se contentant de lui faire acquérir une force visuelle. Ainsi les dessins de Lagorre viennent-ils émailler les textes de Palmade, traduisant en images les moments forts du texte poétique, lui donnant également une sorte de « tempo » au sein du livre. La place de l’illustration varie, tantôt insérée dans la page de texte, elle souligne avec vigueur le passage choisi, tantôt placée face au texte, l’illustration occupe alors une pleine page comme un contrepoint complémentaire au texte.

La plupart des illustrations sont issues de dessins exécutés le plus souvent au fusain ou au crayon à papier, à main levée. Ces illustrations sont ensuite reproduites selon une technique peu onéreuse et de pratique courante à l’époque, celle de la linogravure ( A ce propos, qui se souvient encore que Picasso utilisait cette même technique à ses débuts?)- Pour des raison de coût, toutes les illustrations sont reproduites en noir et blanc et l’ économie de moyens est encore visible dans le fait que certaines illustrations sont utilisées en réemploi au sein de divers ouvrages (C’est par exemple la cas du « Vieux berger » ou du berger assis contemplant les étoiles).

La simplicité du dessin répond le plus souvent à la simplicité du propos qui consiste la majeure partie du temps en une élégie rendue à la Nature sous-tendue par un hommage permanent à la vie rude que mènent alors les paysans-montagnards d’Ariège. Nombre de ces images seront plus tardivement traduites en gouaches ou en huiles sur toile, c’est le notamment le cas du « Vieux berger »aux mains noueuses que l’on peut encore admirer dans l’entrée, à l’accueil de la mairie de Seix.

Pour illustrer les livres de Jules Palmade Lagorre commence à user du motif de « la ronde ». Ce motif nous le retrouvons sur la carte de l’association fondée par Jules Palmade « Floureto del Bailé » visant à remettre au goût du jour chants et danses gascons à une époque où les distractions au village sont à la peine. Nous le retrouverons plus tard sur des huiles de grande taille , en arrière plan, notamment sur les toiles de L’isle-en-Dodon et de Boussens. Sans doute l’artiste donne-t-il à cette « ronde » une portée symbolique acquise dès l’Antiquité mais qui va également traverser le Moyen-âge (il n’est qu’à penser aux Chevaliers de la Table Ronde !) pour arriver jusqu’à nos jours ( l’une des affiches les plus connues de l’Unicef des années montre également une ronde enfantine) : c’est sans doute que la ronde reste symbole d’union, de fraternité  entre les hommes en même temps qu’elle est porteuse de  l’énergie qui les anime .

Dans les ouvrages de Jules Palmade, texte et image se rapportent à un même propos, le dessin se contentant d’illustrer le texte ou une phrase du texte parfois réinscrite sous l’illustration comme pour le marteler. Les illustrations de Lagorre ne correspondent qu’à la traduction imagée du texte .

L’illustration n’ a alors qu’une simple fonction d’ancrage visuel du texte. Il nous semble toutefois important de recontextualiser ce travail : à l ‘époque le taux d’illettrisme de la population est tel que l’illustration aide fortement à la lecture et à la compréhension du texte, l’incrustation des illustrations dans le texte ou face au texte n’est donc absolument pas anodine. La volonté d’insertion des illustrations de Lagorre dans ses ouvrages dénote la volonté du pédagogue que n’a jamais cessé d’être Jules Palmade qui continue de veiller à être lu et compris par tous.

Il en va de même dans les ouvrages illustrés par René Gaston-lagorre que Louis Rivière et Justin Gouazé , félibres eux aussi comme l’est Jules Palmade vont éditer à leur tour. Ces livres illustrés en partie par Lagorre ont trait eux aussi à la culture occitane.

Ouvrages illustrés par Lagorre :

– 1936. J. Palmade, Ores dal core, sounets en lhenga d’Oc biradi an francés… [Préface de Clovis Roques.], impr, de M. Fra, Foix. In-8°, 197 p., sd. Illustré par René Gaston en N&B

– 1938. J. Palmade, Le Bounur / Le Bonheur. 300p.Illustré par René Gaston en N &B. Livre de sonnets, traduction en français, illustré par René Gaston et par l’auteur.

– 1941. J. Palmade, Pouemes de Tardou / Poèmes d’automne. 230p. 6 illustrations de René Gaston

– 1948. J. Palmade, Fleurs nouvelles. Plat sup. de couv. Illustré par G. Lagorre

– 1949, J. Palmade, Pensades / Pensées (recueil d’aphorismes). Edit-Impr. Louis Jean, Gap (Hautes-Alpes), 197p. Ouvrage en langue d’Oc avec traduction, 10 illustrations pleine page signées R. Gaston (1ère) et G. Lagorre, culs-de-lampe de Jules Palmade

– 1950. J. Palmade, Moisson Nouvelle. Plat sup. de couv. Illustré par G. Lagorre

– 1964. J. Palmade, Pétales de vie. Impr. du Cantal, Aurillac,1964. 211p. 1 illustration pleine page signée G. Lagorre p.6.

1965. J. Palmade, Rayons verts et bleus. Impr. du Cantal, Aurillac. 232 p. 4 illustrations de G. Lagorre

1966. L. Pujol (Mestre en gai sabé del Felibrige), Fialutos et Fiutarols, Parla de Nourjat (Arièjo) , 220 p. ill. in-16°

1967. J. Palmade, Sources claires. Anthologie des Amis de Vent Nouveau. 197p, 1ère édition en 1964, Lino de Pierre Bordes. Culs de lampe et photos de Claude Sarda et Jules Palmade. Plat sup. de couv. Illustré par G. Lagorre

– 1967. L. Pujol, Countes de Las Agals. Parla de Nourjat (Arièjo),335 p., ill. ; in-16° 2 illustrations par G. Lagorre

1971. Justin Gouazé. Barrejadisses d’ét so nostre, countes, returbes, esprecious e cants del coumtat de Fouich e det Couserans, in-8°. 142 pages. Recueil de textes brefs en occitan, graphie de l’Escolo deras Pirenèos, ornées d’illustrations en N&B par Gaston Lagorre, Jean-Louis Laffont et Monique Rivier.

1981. L. Rivière – La Guerre de Grand-papa. Le refus en Couserans, 1940-1944, préface d’Ernest Gouazé . Livre broché. Imprimé à Saverdun (Ariège), 175 pages. 4 illustrations pleine page de René Gaston-Lagorre

 

Lagorre illustrateur des livres sur l’Andorre

Séduit par la beauté et la sauvagerie des paysages andorrans mais aussi par les joyaux qu’ils contiennent, notamment les merveilleuses petites églises romanes disséminées à flancs de montagne, Lagorre va illustrer les livres de Domenech de Bellmunt parus en français et en anglais , deux livres qui vantent les beautés de l’Andorre.

La visée de l’illustration diffère ici de la visée évoquée précédemment : il s’agit ici, grâce à l’illustration, de donner à voir quelques uns des trésors patrimoniaux andorrans et par ce biais, de faire découvrir l’attrait historique voire touristique de véritables bijoux architecturaux insérés dans un cadre naturel grandiose. Visée touristique, visée historique… De très nombreuses toiles témoignent encore de l’amour que Lagorre portait à l’Andorre.

Dans les ouvrages de Domenech de Bellmunt conservés à la Bibliothèque nationale de France, si la visée diffère la fonction de l’illustration reste, elle, identique : l’illustration ne sert encore et toujours que de point d’ancrage au texte qu’elle « redouble » , lui donnant une force visuelle au sein du livre.

Ouvrages illustrés par Lagorre :

1952. Bellmunt Domenech de, L’Andorre et ses beautés : sa géographie, ses paysages, ses monuments, son histoire, ses coutumes, ses légendes ; 8 dessins inédits du peintre Lagorre ; [illustrations photographiques de V. Claverol] (95-[19] p.) : fig., carte, couv. ill. ; in-16

1953. BELLMUNT Domenech de, Andorra, The incredible country lost amidst the mountains, Ediçio P.H., Andorre, 1953, 93p. Avec 6 ill. de Lagorre en noir et blanc.

L’illustration de contes traditionnels et la tentation d’illustrer des récits de jeunesse

Jules Palmade sollicite également Lagorre pour illustrer des contes traditionnels mais il ne sera pas le seul puisque Louis Pujol fera lui aussi appel à l’artiste pour illustrer le recueil Countes de las Agals.

L’artiste se souviendra de cette expérience quand il choisira d’illustrer dans ses toiles des légendes issues de la mythologie (« La naissance de Bacchus »), des contes africains (« Retour de chasse ») ou encore d’illustrer le célébrissime conte de Rudyard Kipling extrait du Livre de la jungle, « Mowgli ». Lagorre donne alors un nouveau statut à l’illustration.

L’illustration condense cette fois, à elle seule, le récit. Elle le résume en quelque sorte et devient le symbole de sa portée quasi philosophique.

Texte et illustration deviennent complémentaires. Même s’ils fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, les mots de Kipling et les illustrations de Lagorre se parlent et se répondent. Par un jeu de miroir, les gouaches de Lagorre renvoient au récit et le récit renvoie aux illustrations (gouaches et huiles sur toile) mais l’illustration acquiert davantage d’autonomie.

Les pages de couverture de la revue « Exile » et les illustrations contenues dans les recueils de poésie « Présent », signés Robert Marteau

Lagorre continue de faire dialoguer poésie et peinture de manière plus affirmée en acceptant d’illustrer la revue poétique franco-canadienne « Exile ».

Dans cette revue franco-canadienne, Lagorre est ainsi présenté. Son profil de grand voyageur, né à New-York mais vivant à Paris fait de lui un « exilé » qui ne pouvait que séduire son ami Robert Marteau :

« René Lagorre was born in New York, but as a Frenchman chose to live and exhibit in Paris. He worked as both a figurative artist and in abstraction, particularly in a series dedicated to the possibilities of the letter “Z” from which this painting is taken.”

Les « Z » de Lagorre vont servir plusieurs fois d’introduction à la revue poétique en figurant sur le plat supérieur de couverture et en quelque sorte en interrogeant tout à la fois le texte qui va suivre et le lecteur qui se saisit du livre.

A partir de cet instant, le texte et l’illustration ne racontent plus exactement la même histoire, chacun a son langage propre (d’un côté les mots, leur disposition et leur graphie, de l’autre les traits et les couleurs). Il existe désormais un décalage entre le texte et l’illustration qui peut faire débat, qui “interroge” le lecteur ou celui qui regarde.

La fonction du texte par rapport à l’illustration évolue, elles devient plus complexe qu’il n’y paraît. Car l’illustration, au même titre que le texte poétique, peut délivrer un sens plein . Comme les poèmes de Robert Marteau qui en a pressenti la puissance, les illustrations de Lagorre deviennent pour le lecteur des énigmes à déchiffrer elles aussi. Si nous nous en tenons à la terminologie de Roland Barthes, l’illustration assure désormais une fonction non plus d’ancrage du texte mais de « relais » . Elle interroge le texte poétique en même temps qu’elle interroge celui qui tente de la déchiffrer.

Ce n’est évidemment pas un hasard si Robert Marteau choisit une abstraction de Lagorre datée de 1979 pour illustrer le plat supérieur de la couverture de son livre dont le titre issu du grec est si évocateur puisqu’il l’intitule *« Eidolon ».

Revues illustrées :

EXILE Quaterly 1987. Volume 12 no. 3 1987 – 8 reproductions de Z assorties d’un écrit de Robert Marteau sur René. Cover “Z” . Acrylic on paper by René Lagorre. 14.5 x 18 cm / Couverture de René Lagorre. 14,5x18cm.

– EXILE Quaterly 1989. Volume 14 no. 3 1989 – Cover “Z” (Acrylic on Paper) by René Lagorre / Couverture de René Lagorre

EXILE Quaterly 1993. Volume 18 no. 2 1993 – Cover “Z” (Acrylic on Paper) by René Lagorre  / Couverture de René Lagorre

EXILE Quaterly 1999. Volume 23 no. 2 1999 – Cover “Z” (Acrylic on Paper) by René Lagorre / Couverture de René Lagorre

En 2023 pour fêter les 50 ans de la revue les éditions Exile remettent à l’honneur René Lagorre/

1989Présent, Robert Marteau, René Lagorre, poème de Robert Marteau assorti de gouaches originales du peintre, nombre d’exemplaires limité. Livret d’artistes. Edit. La Balance, 1989.

1990 – Eidolon, two long poems : Treatise on white and tincture and Atlante, translated by Barry Callaghan by Marteau Robert, Exile editions, Toronto

On le voit, Lagorre exerce ses talents d’illustrateur tant en dessin qu’en peinture dans des domaines variés avec une évolution notable.

D’’abord simple ornement ou répétition du texte, l’illustration au sein de l’ouvrage acquiert peu à peu son autonomie propre, finissant par interroger le texte et par acquérir autant de force que celui-ci au point qu’elle pourra prendre plus tard sa propre envolée en se transformant parfois en huile ou en gouache (tel est le cas de « Mowgli », du « Vieux berger » ou encore du « Berger de Canillo » vu en Andorre mais aussi des résistants morts sous les balles nazies au Maquis de Meilhan et évoqués dans le livre de Louis Rivière)

* La linogravure est une technique de gravure en taille d’épargne (technique consistant à enlever les blancs ou « réserves » du résultat final, l’encre se posant sur les parties non retirées, donc en relief, le papier pressé sur la plaque conservant l’empreinte de l’encre1), proche de la gravure sur bois, et se pratique sur un matériau particulier, le linoleum.

* Le Félibrige (en langue d’oc : lou Felibrige est une association1 qui œuvre dans un but de sauvegarde et de promotion de la langue, de la culture et de tout ce qui constitue l’identité des pays de langue d’oc. Le Félibrige est donc une organisation de défense et de promotion de la langue et de la culture d’oc

* eidôlon [εἴδωλον]. Ce qu’on voit dans un miroir ou une peinture a donné à penser aux anciens Grecs. Les termes usuels par lesquels ils ont dénommé l’image ont été porteurs de traits archaïques dont on trouve des traces dans leur réflexion philosophique …Le terme le plus courant pour image, eidôlon [εἴδωλον], a pour racine le verbe signifiant voir. L’eidôlon, c’est ce qu’on voit comme si c’était la chose même, alors qu’il ne s’agit que d’un double : ombres des morts dans l’Hadès (Odyssée, XI, 476), sosie d’Hélène créé par Héra (Euripide, Hélène, 33), effigie ou portrait, qui met sous les yeux les absents, ou enfin ce qui se montre dans un miroir et qui en réalité n’y est pas. Bref, l’eidôlon est du visuel porteur d’illusion, par opposition à l’ eidos ou l’ idea [ἰδέα], de même racine, la forme belle et vraie, qui devient chez Platon “ idée ” (Cratyle, 89b 3).