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Éloge aux maîtres. Les exercices d’admiration

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«Rien ne naît de rien», Lucrèce, De Natura rerum, Livre I, vers 159-173.

A l’intérieur d’une œuvre, certains tableaux résonnent  comme des éloges faits aux maîtres, ce sont de réels « exercices d’admiration ».

Dans le domaine des arts, il n’est évidemment pas rare qu’un artiste rende ainsi hommage à un autre artiste qu’il admire et qu’il considère comme l’un de ses maîtres. Dans les années 30,  on se souvient que Dali,  peintre surréaliste magnifique autant qu’extravagant, rendra un hommage multiple et appuyé aux œuvres de Jean-François Millet et notamment à son Angélus.

Legs Alfred Chauchard, 1910. Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais

L’Angélus architectonique de Millet est un tableau du peintre espagnol Salvador Dali réalisé en 1933. Cette huile sur toile est inspirée par lL’Angélus de Jean-François Millet. Musée de la Reina Sofia, Madrid. 

Cette huile sur panneau est inspirée de l’Angélus de Jean François Millet. Ce tableau évoque d’une façon archéologique L’Angélus de Millet représente une ruine au milieu d’un désert encerclée de montagne. ]

 

Nombreuses sont les œuvres de Lagorre qui laissent  deviner l’influence de tel ou tel mouvement artistique ou de tel ou tel artiste de prédilection. Ainsi pourra-t-on tour à tour percevoir sur ses toiles l’influence des peintres de la Renaissance italienne, ou encore celle des nabis,  des fauves ou  des impressionnistes…

La peinture des gitans ou celle des tournesols dont la brillance éclate sur le rebord des  fenêtres nous renvoient quant à elles aux toiles de Van Gogh… Il y a là bien évidemment une manière détournée de rendre hommage aux maîtres.

En revanche, certaines toiles de l’artiste  se présentent ouvertement comme des reprises ou des ré-interprétations d’œuvres célèbres d’artistes prestigieux, immédiatement reconnaissables. Des œuvres qui ont  sans doute ému l’artiste au point qu’il s’en saisit et se les approprie pour les ré-interpréter à sa manière. Là encore, ces tableaux apparaissent comme autant de clins d’œil d’un élève à ses maîtres…

 

Dans son ouvrage intitulé Admirer*[1], Joëlle Zask montre que l’objet de notre admiration  nous ouvre subitement des portes et favorise en ce sens notre usage de la liberté. C’est une leçon que l’auteure retient du Traité des passions de Descartes, qui parlait de « subite surprise de l’âme .» Dans l’acte d’admiration réside en effet  une notion philosophique dont se sont emparés tour à tour Descartes et Spinoza.

Selon Spinoza, l’admiration est une « passion joyeuse »*. Contrairement aux « passions tristes » qui enferment, cette dernière nous fait grandir, nous permet de nous décentrer et nous propulse gaiement en dehors de nous-mêmes.

Au-delà du simple hommage rendu à tel ou tel artiste dont les œuvres l’ont touché,  ému,  étonné, et qui  l’ont obligé à porter une attention toute particulière à tel ou tel tableau, Lagorre  tisse des liens, abolit les frontières spatio -temporelles entre maître et élève et soumet notre regard à un va-et- vient obligé d’une œuvre à l’autre.

Dans les toiles de Lagorre, la douceur, la grâce et l’élégance sont à nouveau de mise à travers la reprise de  L’embarquement pour Cythère de Watteau (1972) tandis que la lumière explose  dans le Jardin de Monet à Giverny où le bleu est tellement lumineux qu’il en devient presque aveuglant !

Les exercices d’admiration auxquels se livre Lagorre émaillent toute sa vie d’artiste. Il s’y adonne  avec espièglerie mais nul doute que ces éloges ne soient  de véritables actes de valorisation, une forme de louange, de reconnaissance mettant en avant des valeurs esthétiques de beauté.

Alors, sous le pinceau de Lagorre, comme dans les toiles d’Eugène Boudin, le ciel et l’eau du petit port d’Honfleur chéri par les impressionnistes, finissent par se confondre se teintant de reflets gris-bleu tandis qu’au pied des falaises de craie blanche  d’Etretat les galets se couvrent d’une eau verte qui miroite au soleil…

Dans les toiles de Lagorre, lors d’une fantasia, les chevaux se cabrent comme ils le font sur les toiles du maître Delacroix.

Dans les toiles de Lagorre, hommage est rendu à Toulouse Lautrec mais aussi  à Matisse avec ces motifs de danse dans le Z exposés en 98 à l’opéra Garnier…

Parfois les arts se répondent en écho sur la toile quand Lagorre peint un hommage à Mozart…

A nous de découvrir ou de redécouvrir  dans l’œuvre de l’artiste ces éloges. Ils tracent un amusant parcours qui, s’il est souvent teinté d’espièglerie, n’en est pas moins savant.

L’œuvre de Lagorre fête tantôt  Matisse et tantôt, Picasso, tantôt Kupka et tantôt Malevitch et comment ne pas voir dans certaines de ses toiles un ultime hommage  au Douanier Rousseau quand éclate la vision luxuriante d’un paradis perdu, celle d’un  jardin d’Eden qui fut, il y a bien longtemps, lieu de délices et de perfection…

[1]Admirer, Eloge d’un sentiment qui nous fait grandir, Joëlle Zask. Premier parallèle, 185 p, 2024.