Don Quichotte de la Manche, el caballero de la trista figura, symbole de l’errance
Le roman de Cervantès est considéré à juste titre comme l’un des romans les plus importants de la littérature mondiale. On sait comment le héros de Cervantès, Don Quichotte, contaminé par ses lectures, s’installe dans une vie fantasmée de chevalier errant, comment il vit alors dans un réel métamorphosé ce qui le conduit un beau matin, à quitter sa patrie, la Mancha, une région pauvre, une terre de moutons et de moulins à vent pour dit-il « venger les injures, secourir et venir en aide aux opprimés »… devenant de ce fait une sorte de chevalier idéaliste au grand cœur.
Inséparable de son fidèle écuyer, Sancho Pança, un paysan pétri de culture populaire associé sans cesse au thème de la faim et de la nourriture, Don Quichotte va cheminer. Au rythme de leur monture, pour l’un Rossinante, vieux cheval efflanqué et pour l’autre son âne, ils vivront de folles aventures avant que la mort ne vienne clore le retour à la maison en même temps que celui à la raison.
Si Don Quichotte a parcouru la Mancha en tous sens en compagnie de Sancho, le roman de Cervantès dont il est le héros , lui, a parcouru le monde entier, conférant au personnage de Don Quichotte la dimension d’un mythe.
Dans le domaine pictural, bien avant que Salvador Dali, Pablo Picasso, André Masson ou encore, plus près de nous, Gérard Garouste ne s’emparent de Don Quichotte, Honoré Daumier mais surtout Gustave Doré avec ses fabuleux dessins gravés de Don Quichotte vont participer à la diffusion du mythe. Sainte-Beuve ne s’y trompe pas qui affirme :
« pour la liberté et l’audace du dessinateur. La connaissance directe de l’Espagne, de ses paysages et de son architecture, fournit à Doré la matière à des compositions très fidèles. […] C’est par ces voyages en Espagne qu’il a su reproduire les horizons nus, décharnés, les solitudes ou les âpretés sauvages comme aussi les plus fraîches oasis et les plus secrets vallons, les hôtelleries délabrées comme les résidences seigneuriales pompeuses et les architectures historiées et fleuries. […] Ce n’est point en Beauce ou en Brie que le chevalier de la Manche fait ses prouesses ; il traverse les gorges de la Sierra ; il assiste dans ses courtes heures de repos à des récits divers et animés qui varient les scènes et transportent le lecteur jusque sous le ciel africain : autant de motifs ou d’ingénieux prétextes pour le crayon. […] Doré a donc refait un Don Quichotte espagnol : il l’a défrancisé. »
et Cyril Devès d’affirmer :
«Gustave Doré fixe définitivement le visage, la silhouette et les aventures de Don Quichotte. De fait, il permettra à des artistes comme Honoré Daumier, Picasso, Dali, Weisbuch, etc, de le réduire à sa forme la plus simple. Le Don Quichotte de Doré est un maillon essentiel pour comprendre l’évolution iconographique de ce héros et le processus d’autonomie plastique lui permettant de s’ancrer profondément et durablement dans notre imaginaire collectif. Pourfendeur de moulins à vent, de troupeaux de moutons et autres outres de vin, le monde n’aura jamais vu aussi fier faiseur de chimères dont la plus belle de toutes restera Dulcinée, la femme de ses pensées et pour laquelle il ressuscite cette chevalerie défunte. Au cours des siècles, les lecteurs sont tiraillés dans leur sensibilité. Si l’aspect risible du personnage est la première idée qui s’impose, se peut-il que derrière le rire se cache une larme ? Ce fou n’est-il pas le représentant de la condition humaine ? » .
Cyril Devès est un historien de l’art , conférencier et Chercheur (Université de Lyon)
La douce folie et l’humanité de Don Quichotte émeuvent également Lagorre comme l’ atteste cette lettre écrite à sa nièce. Don Quichotte deviendra le thème à part entière de l’une de ses expositions, le peintre nous donnera à voir la folie du personnage (épisode des moulins à vent confondus avec des géants) mais nous rendra également sensible ses rêves d’altruisme et son besoin de liberté.
