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Paysages et habitat montagnards, le choix de l’art figuratif

  /  Paysages et habitat montagnards, le choix de l’art figuratif

Dans le domaine pictural les paysages, et pas seulement les paysages de montagne, furent longtemps relégués au second plan, au sens propre comme au sens figuré. La peinture de paysage n’ occupait en effet, jusqu’au XVIIIe siècle, qu’ un rang inférieur au regard de la peinture d’histoire, qui constituait, elle, le genre « noble »par excellence. Ce n’est que peu à peu, au fil du temps que les choses vont évoluer, les paysages montagnards ne servant longtemps encore que de décor idéalisé…

Rien de cela dans l’œuvre de Lagorre. Les lieux enchanteurs et enchantés qu’il peindra en montagne tout au long de sa vie ne sauraient se confondre avec un simple décor !

La montagne est ici empreinte des souvenirs d’une adolescence passée en Ariège. La représentation de la montagne y est chargée des émotions ressenties, du temps où le jeune peintre arpentait les flancs du massif du Valier que ce soit du côté d’Aula, du côté de Salau ou encore du côté de la sombre vallée d’Angouls, jonchée de narcisses au printemps mais dont la sauvagerie fait qu’elle est toujours aujourd’hui fréquentée par les aigles royaux et les gypaètes barbus.

Autre particularité. Chez Lagorre, la montagne est  toujours « habitée ». Le peintre y croise les bergers et leur chien, les chasseurs d’isards , les contrebandiers mais aussi les douaniers en patrouille, partis à leur recherche… Sur les peintures de Lagorre, même dans les coins les plus reculés et les plus sauvages des Pyrénées, la présence de l’homme se fait toujours sentir : ainsi peut-on parfois percevoir sur la toile, par la porte entr’ouverte d’une cabane pastorale, le rougeoiement d’un feu tandis que sur une autre toile le peintre nous donne à voir une grange foraine encore emplie de foin… Les troupeaux de brebis, de vaches ou de chevaux qui paissent sur l’estive laissent deviner la présence de l’homme qui n’est jamais bien loin.

Dans ses toiles paysagères, Lagorre nous transmet son émerveillement face aux versants de glace aux mille et un reflets. Il peint la neige dans toutes ses nuances de blanc, de gris mais aussi de bleuté et nous invite à ressentir ses propres émotions quand il cherche à saisir sur la toile le cours impétueux et encore indompté de torrents qui bondissent en dévalant les pentes pour s’engouffrer soudain sous les blocs de rochers. Le peintre saisit l’eau vive aux éclats argentés qu’il nous montre apaisée, coulant dans la vallée Lagorre aime peindre l’eau. Que dire de la magnificence des lacs de montagne dont la couleur émeraude explose sur ses toiles ?

Si Lucrèce  pensait que la connaissance de la nature pouvait conduire à la connaissance de la réalité, si Rousseau voyait dans la Nature un modèle de pensée, on voudra bien aussi se souvenir ici de l’importance, dans l’œuvre de Proust des descriptions des lieux d’enfance. Combray, Balbec , Cabourg… Dans La Recherche, l’écrivain se transporte par le truchement de la mémoire, dans le temps passé, celui de l’enfance et de l’adolescence… La démarche est ici similaire. Nombre de tableaux, de dessins ou de gouaches de Lagorre concrétisent des souvenirs de jeunesse par tous temps et en toutes saisons.

Ainsi le tableau extravagant peint en 1942 « Menace d’orage » – un tableau rendu extravagant par ses proportions mêmes, mais aussi par la volonté de traduire la force du vent violent qui se lève soudain -, nous montre-t-il déjà la volonté du peintre de fixer sur la toile l’un de ses souvenir de jeunesse,  à l’instant même semble-t-il où la nature se déchaîne, mettant à mal la vie de montagnards soudainement confrontés à la furie du vent…

Habitat montagnard

Dans les toiles de Lagorre, l’habitat est le fruit d’une observation très attentive, très soutenue au point que s’y retrouvent les signes les plus représentatifs du mode de vie des montagnards.

L’habitat y apparaît en lien étroit avec le milieu environnant : peintures de masures délabrées, de granges foraines, d’ étables, de lavoirs communaux, de hameaux ou de petits villages qui, d’un côté comme de l’autre des Pyrénées, semblent vivre regroupés au pied même de l’église, comme pour se prémunir des dangers et des rudesses de la vie en montagne. Certaines particularités apparaissent aussi sur les toiles du peintre en fonction des vallées qu’il a souvent arpenté, ainsi voit-on des représentations de toits de chaume doré ou de lauzes1 bleutées sur des cabanes à pas d’oiseau2 observées dans la vallée d’Ercé, du côté de Cominac (Ariège). Ces maisons à pas d’oiseau sont omni présentes dans les toiles et gouaches représentant les montreurs d’ours qui sillonnaient l’Ariège autrefois.

L’habitat est conforme aux activités agro-pastorales qui sont celles des hautes vallées, la précision du peintre est là quasi documentaire. Mais, si les maisons ou si les cabanes pastorales, aussi rustiques soient-elles, sont avant tout des abris qui permettent d’échapper à la rudesse du climat et aux intempéries, si elles permettent de protéger tout à la fois hommes, animaux et récoltes, elles sont aussi et surtout des lieux de vie.

Dans les toiles de Lagorre on voit des paysans au travail enfourner le foin dans les granges et dans les greniers dans la chaleur écrasante de l’été, on les voit battre le blé qui rutile au soleil, on voit les bergers sur l’estive, entourés de leurs bêtes, façonner de leurs grosses mains noueuses le fromage sur l’ estive et se saisir des outils nécessaires à cette fabrication, on voit des paysans conduire ânes et mules dont les bats semblent lourdement chargés pour s’approvisionner… parfois on peut même assister à une partie de cartes, le soir, dans la cabane …

L’art figuratif est ici affirmé et totalement assumé, il serait donc stupide de le mépriser tant il y faut de minutie dans la composition, tant il y faut de savoir-faire dans le dessin, tant il y faut de force d’observation. Si l’on a coutume d’opposer art figuratif et art abstrait, n’oublions jamais qu’une partie de l’art abstrait s’est nourrie d’une observation attentive du visible pour mieux l’épurer ensuite.

 

1Cabane à pas d’oiseau : elles ont des toitures avec des pignons à redents (« pënau » en patois). Du côté de Cominac (Ariège) c’est une architecture typique. Les dalles qui forment les gradins sont appelées « peyrous » en patois

2Lauzes : grandes et lourdes dalles irrégulières schisteuses