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Lecture d’oeuvres

René Gaston-Lagorre par Jean-Claude Dedieu

La peinture de René Gaston-Lagorre contrarie la critique prompte à classer, étiqueter, enfermer une œuvre dans une école, un mouvement artistique ou, plus vaguement, une époque. Aujourd’hui nous regardons le peintre ” tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change ” et nous sommes déconcertés parce que ce “Lui-même” se montre sous une multiplicité de personnes.

On pourrait recenser les peintres dont on trouve un écho dans cette œuvre, préciser le degré d’affinité de ces correspondances. Or ces peintres ont des sensibilités, des caractères, des manières très différentes et il est déconcertant de les rencontrer chez un seul artiste comme si cet artiste reprenait à son compte les difficultés, les problèmes et les solutions de sa génération au risque de se disperser et de perdre sa personnalité.

La peinture de Gaston Lagorre est largement figurative. Elle s’inscrit dans la tradition occidentale de la mimesis, de l’impératif d’imiter, de reproduire le réel selon des choix techniques qui n’ont en commun que de donner à voir justement ce réel.

Ainsi la représentation peut-elle être tantôt assurée par la ligne, le jeu des lignes – et on voit ici la virtuosité de Dufy, de Dunoyer de Segonzac, tantôt confiée à la couleur, à la vibration des tons, et le trait s’empâte, souligne – et on pense à Marquet, Matisse et davantage peut-être à Manguin (qui lui-même évoque plusieurs peintres).

Les rencontres avec ces peintres sont des rencontres heureuses et Gaston-Lagorre n’hésite pas à afficher son admiration par un emprunt délibéré, à Watteau par exemple lorsqu’il transpose L’embarquement pour Cythère ou quand il donne à sa Vierge Marie un visage copié de Botticelli.

Cependant, habitués que nous sommes à considérer comme allant de soi le souci de la peinture de représenter, de figurer, on n’aperçoit pas suffisamment le glissement qui s’opère dans l’œuvre de Gaston-Lagorre vers une manière nouvelle pour n’être pas surpris lorsqu’elle éclate comme une trompette de jazz après un concert de musique classique. Pourtant, déjà dans une Vierge à l’enfant de 1953, dans le Chemin de Croix de l’Hôpital du Val d’Ariège, la peinture de Gaston-Lagorre était travaillée par une géométrie qui brise les courbes, rabat les volumes sur le plan et s’émancipe des contraintes de la vraisemblance.

Une toile est particulièrement significative de ce changement : Les baigneurs de 1944. Certes l’image est figurative mais ses éléments composent une architecture devenue visible ; les corps y sont morcelés, des morceaux assemblés ; les strates du paysage- la terre, la mer, le ciel – ordonnées en séquences distinctes, nettement séparées. Le sujet du tableau est presque un prétexte à organiser des plans colorés. Les couleurs elles-mêmes sont traitées en à-plats, sans modulation, sans effusion. Le thème aussi rompt avec ceux que l’œuvre a rendus familiers : au paysage rural, à la montagne, à l’espace confiné des intérieurs du labeur paysans se substituent l’atmosphère du loisir, l’ouverture et l’étendue du ciel et de la mer.

Ce qui se prépare presqu’ insensiblement c’est le grand écart final qui explose dans la série des Z. Maintenant le peintre ne peint plus que la peinture, le geste de peindre, l’abstraction gouvernée par la géométrie. Si quelque figure y paraît c’est assujettie sévèrement par des règles étrangères au souci de la ressemblance. Ce qui n’empêche pas qu’on y reconnaisse sans hésiter tel visage (Picasso). Mais, comme la musique, cette peinture ne signifie qu’elle -même. Elle expose sa propre exubérance, sa joie, ses humeurs, ses passions. On dit “passion” parce que, à l’exception de quelques toiles où la déclinaison de couleurs accordées suggère un climat de douceur, la plupart des Z vibrent d’un zig zag violent.

Pour décrire la modernité de ces toiles on est tenté de recourir au vocabulaire de la musique. C’est de mouvement qu’il s’agit, de tempo, de rythme, scherzando souvent. L’harmonie est plus bruyante que mélodieuse, traversée de stridences, de syncopes.

L’audace technique commune aux compositions des Z les rassemble dans ce qu’on pourrait appeler “manière ” ou ” période”. Une période si différente des périodes antérieures qu’elle n’en est pas la contradiction. Il n’y a donc pas de difficulté pour qui a été séduit par l’abstraction turbulente des dernières toiles de Gaston-Lagorre de revenir aux images antérieures célébrant les paysages, les saisons, la vie des campagnes ou l’interprétation très personnelle de thèmes religieux.

Il n’y a pas deux Gaston-Lagorre mais un artiste qui parle deux langues différentes. Pour aimer cette œuvre il suffit d’être bilingue.

Jean-Claude DEDIEU

Jean-Claude DEDIEU vit à Saint-Lizier. Il a longtemps exercé en tant que professeur de philosophie au Lycée de Saint-Girons (Ariège). Jean-Claude Dedieu est aussi considéré comme un spécialiste de l’artiste-peintre Leonor Fini qu’il a bien connue et pour laquelle il a rédigé plusieurs textes et préfaces de livres d’art. Depuis le décès de celle-ci, Jean-Claude Dedieu n’a jamais interrompu sa collaboration avec la galerie Minsky qui continue à Paris d’exposer les œuvres de l’artiste disparue.